« Une belle ferme au milieu de la vallée… Cette ferme était autrefois un cabanon pour ranger quelques outils, au milieu des champs. »
Cette première description est tirée des mémoires de Marie-Jeanne, troisième enfant née dans la ferme, et aujourd’hui âgée de cent deux ans !…
Quittant son quartier de Durons, Désiré Amaudry est donc venu s’installer avec son père aux Marais en 1904. dans ce qui était à l’époque un petit bâtiment très modeste. Quand il épouse Augustine, en 1908, il commence vite à se rendre compte qu’il faut agrandir. Les travaux de maçonnerie dureront au moins trente ans ! « Toute sa vie, ma mère a eu les maçons », nous précise Aimée, dernière née de la famille. Michel Amaudry, petit fils de Désiré, qui a repris la ferme, nous précise que les maçons , les Rey, venaient de Pont de Barret. Ils travaillaient avec les pierres du coin, la chaux de Pont de Barret (le four à chaux a cessé de fonctionner en 1960) et le sable du Roubion. Les agrandissements ont concerné bien sûr la maison d’habitation (cuisine, cave attenante et trois chambres en haut) , puis aussi
les dépendances : la remise pour les cochons, l’étable pour les bœufs (auxquels Désiré était très attaché!) et finalement le grand hangar. « Ainsi le cabanon devint-il progressivement une belle ferme à angle droit, résume Marie Jeanne, un côté bien au soleil pour la partie habitation, l’autre côté pour les dépendances. »
Durant ces années sont nés cinq enfants : Henri en 1909, Albert en 1911, Marie-Jeanne en 1914, Raymonde en 1920 et finalement Aimée en 1923.Alors que ses frère et sœurs sont encore à la maison, Henri se mariera en 1934 avec Simone une « étrangère » puisque venant de … Montélimar. Ils auront six enfants. Tout ce petit monde vit ensemble. A table on se retrouve fréquemment treize ou quinze, sans compter les maçons et ceux qui aident aux travaux des champs.
Sans compter aussi les visites, les gens de passage et les frère et sœurs mariés qui reviennent dans la maison familiale avec leurs enfants ! « C’était une maison où il y avait toujours plein de monde !» se souvient Aimée.Pour la nourriture on vivait presque en autarcie, on produisait le lait et les fromages (tomes et picodons bien sûr), les légumes au potager, les fruits variés, les volailles, lapins et cochons pour la viande. Pour l’épicerie, il y avait celle de Madame Limousin à Talon ou bien le coquetier qui passait à la ferme : on échangeait des œufs, des volailles ou lapins contre sucre, pâtes et riz. Le four à pain, construit pendant la deuxième guerre, donc tardivement, a permis d’être indépendant pour le pain aussi.
Depuis cette époque lointaine, la ferme a bien sûr évolué. Au niveau du confort d’abord : l’eau sur l’évier et l’électricité sont arrivées dans les années 30, les wc et la salle de bain ont été construits en 1967. Au niveau des bâtiments aussi : Michel qui avait repris la ferme en 1971, a fait construire sa villa, juste à côté, en 1978. C’est ensuite Christian Amaudry, le frère de Michel, et son épouse Annie, qui ont restauré la partie habitation de la ferme, transformant notamment la remise aux lapins en une magnifique salle de séjour et ajoutant deux chambres prises sur les greniers. Enfin, dans la partie étable, des travaux ont été entrepris pour aménager un appartement occupé par Mathilde, la fille de Michel.
Nous avons également interrogé Aimée et Michel sur des événements liés à cette maison .
Tout d’abord, Michel nous rappelle avec émotion, une période vraiment difficile, lorsqu’en 1952, son père Henri s’est retrouvé proche de la faillite, donc de la perte de la ferme, car sa fille Yvette devait être opérée d’une tumeur au cerveau. A cette époque bien sûr la sécurité sociale n’était pas encore obligatoire (elle ne l’a été qu’en 1961 pour les agriculteurs…) Henri a pu sauver sa ferme mais sa fille, malheureusement, n’a pas survécu malgré l’opération.
D’autres anecdotes heureusement plus légères nous sont rapportées.
« Nous couchions toutes les trois dans une chambre, nous raconte Aimée, et une nuit nous nous sommes levées,en même temps, Marie-Jeanne et moi, pour fermer l’une la porte, l’autre la fenêtre, le tout sous les yeux ébahis de notre sœur Raymonde. Sans doute avions-nous fait le même rêve… », conclut-elle en riant.
A propos du Merlet, le ruisseau qui passe juste derrière les Marais, quelques historiettes aussi : c’est là qu’Augustine faisait la « bugade », un petit barrage formant un gourd avait été aménagé à cet effet. Et voici ce que rapporte Marie-Jeanne dans ses mémoires : « Un petit cerisier à trois feuilles poussait sur le talus…J’ai voulu l’attraper…Je tends le bras le plus possible et je dégringole dans le ruisseau ».Ce récit, fait quatre-vingts après, surprend par sa précision. Il faut dire que l’enchaînement des faits, sauvetage puis maladie puis guérison inespérée, ont de quoi marquer même une enfant de trois ans…
Le Merlet toujours, sur lequel il fallait passer à gué et qui était capable de se gonfler d’importance au point d’empêcher Solange et Emile Magnet d’accéder à la ferme pour une veillée ou bien de « bousiller » le moteur d’Henri qui s’était quand même entêté à le passer, se souvient Michel.
Il y a aussi l’évocation du cheval Cadet qui emmenait Simone au lavoir, vers Talon, revenait tout seul aux Marais, si jamais il pouvait y être utile, et repartait un peu plus tard chercher Simone qui avait eu le temps de finir sa lessive. Bel exemple d’intelligence animale !
Et voilà, bien sûr d’autres faits auraient pu être encore évoqués à propos des Marais…. Merci à Aimée et Michel pour leur témoignage et pour finir une dernière citation de Marie-Jeanne : « Nous avons été très heureux aux Marais. J’y suis revenue souvent, c’était toujours « chez moi »