Le quartier des Oullières à Buâche

En début d’après- midi de ce jour de février, nous passons le pont saint-Michel, sur le Roubion, et prenons la première route à droite. Nous voilà arrivées chez Raymonde et Maurice Chevalier.

Pas si facile d’ailleurs de trouver leur porte d’entrée, tellement les bâtiments, agrandis au cours des générations et des années, sont étendus !…C ‘est dans leur pièce à vivre, décorée de photos de petits et arrière petits-enfants que nous nous installons pour discuter.

Cette maison, Maurice la connaît bien puisqu’il y est né en 1928- à cette époque on accouchait à domicile- et qu’il n’en est jamais parti depuis. Quel âge a cette maison ? Bien difficile à dire ! La seule certitude de Maurice c’est que son père, son grand-père et son arrière grand-père y ont vécu. On a retrouvé une preuve de l’ancienneté de l’habitation dans une tuile qui porte la date de 1793, donc en pleine révolution ! Quand même ça force le respect !!

Comme souvent malheureusement à cette époque, l’enfance de Maurice a connu le deuil puisque son frère est décédé à l’âge de huit ans et c’est ainsi que Maurice est resté seul enfant dans la famille.

On ne peut s’empêcher bien sûr de lui poser une question sur son nom, on n’est pas les premières apparemment ! Le chanteur n’avait alors que vingt ans et ce n’est pas à cause de lui qu’on lui a donné ce prénom mais tout simplement parce que sa mère était née le 22 septembre, jour de la Saint-Maurice, que lui-même est venu au monde quelques jours avant, et sûrement aussi parce que ses parents aimaient bien ce prénom, assez à la mode en plus à l’époque.

Enfant, il devait aller à l’école à pied, au vieux village, quatre kilomètres quand même, chaussé de « patins », chaussures à semelles de bois et en culotte courte, même l’hiver!Mais Maurice garde surtout les bons souvenirs des soupes chez madame Caillet ou des repas dans les ruines du château où Maurice adorait jouer à quoi ? Aux « chevaliers » bien sûr !!

En 1954, il épouse Raymonde Pradier de Condillac. Ses parents, fermiers d’abord à Puy-Saint-Martin sont arrivés ensuite au Mas des Oiseaux, à Soyans. Les deux jeunes gens se sont connus très simplement faisant partie de la même bande de copains, ils sortaient ensemble à droite et à gauche et voilà comment a commencé leur histoire! Elle a vingt ans et lui vingt-six quand ils se marient. Ils auront quatre filles : Geneviève, Elisabeth, Evelyne et Pascale.

Bien sûr, il a fallu pousser les murs pour loger tout le monde, surtout qu’il y avait aussi les parents de Maurice. « De ce temps-là on n’empruntait pas, explique Maurice. Quand on avait quatre sous, on faisait une pièce… »Ainsi on a ajouté des chambres, à côté de la cuisine il y avait celle de la mémée et du pépé. Plus tard, en 1970, on transformera un grenier en salle à manger. Depuis 1960 on a déjà l’eau sur l’évier grâce à un moteur qui amène l’eau de la source et en 1965, on est connecté à l’eau de la commune et c’est vraiment le début du modernisme et du confort puisque les premiers sanitaires sont installés en 1970. Ah ! le confort, c’est quand même bien agréable !! Et ils se souviennent du café qui gelait sur la table en 1956, la fameuse année ! parce qu’il n’y avait pas d’isolation !

Nous sommes dans la cuisine d’origine avec sa grande cheminée qui occupe tout un côté. A l’ époque, il y avait une crémaillère avec une marmite qui cuisait toute la journée des soupes, des daubes ou des ragouts, parfois du gibier aussi car on était chasseurs bien sûr dans la famille. Ah, ce n’était pas l’époque des surgelés et du micro-onde !!

La ferme avait pas mal de bétail dans le temps : quatre ou cinq vaches, des chèvres de dix à quatre-vingts. Ah ! Ca faisait du travail surtout qu’au début on trayait à la main bien sûr ! Mais on n’a jamais fait de fromages, on donnait le lait à la coopérative de Crest. Avant la mécanisation, on travaillait avec une paire de bœufs, parfois précédés de chevaux pour les terres trop difficiles car argileuses. En guise de premier tracteur on a eu une chenillette de l’armée transformée ! Puis le premier tracteur a été acheté en 1955.

Raymonde a aussi gardé des enfants dont certains reviennent les voir, à leur grand plaisir ; elle cite Muriel Saussac, Frédéric avec qui il a fallu être très patient au début mais qui maintenant est autonome, travaille, il habite Bollène.

Leurs filles : oh ! Elles ne se sont guère éloignées, c’est si beau le coin ! Geneviève que nous avons rencontrée au début de notre visite, habite Crupies, Elisabeth est à Bois-Vieux, Evelyne à Puy Saint Martin et Pascale, qui est venue aussi faire un petit tour, a aménagé un gîte en contre-bas et habite juste à côté, après avoir transformé l’ancien grenier à foin en habitation. Le gîte marche bien. Il y a surtout des Belges, des Allemands et des Hollandais qui apprécient beaucoup la vue et la tranquillité, mais la piscine aussi ! Souvent d’ailleurs ils reviennent !

Sans garçon parmi leurs enfants, c’est Jean-Louis, le mari de Geneviève qui avait repris la ferme, augmentant d’ailleurs sa superficie jusqu’à une trentaine d’hectares.Mais voilà, le destin a été cruel, en avril dernier, Jean-Louis est décédé à soixante-deux ans seulement, en quelques jours laissant, entre autres personnes bien sûr, Maurice et sa femme complètement désemparés : « On le voyait tous les jours ! »Plus qu’un gendre, un véritable fils ! Outre le profond chagrin, c’est le souci concernant les terres qui les tenaille. Qui va les travailler à l’avenir ? Ce n’est pas simple aujourd’hui!…

Mais on évoque aussi des souvenirs plus riants comme, par exemple,les veillées qui se déroulaient à tour de rôle entre voisins. «  Comme cet hiver où il faisait un temps épouvantable, un froid glacial avec un vent à décorner les bœufs ! On pensait que personne ne viendrait…et puis on a entendu un ronflementet , surprise ! un tracteur montait le chemin. Michel et Joël Dorier avaient attelé la jardinière qu’ils avaient recouverte d’une bâche ! Tout le monde était à l’abri là-dessous et je peux vous dire que ça rigolait !!!… » Ca prouve bien que pour rien au monde on n’aurait raté une veillée ! « A minuit on sortait les victuailles, on trinquait aussi, et ça pouvait durerjusqu’à 3Trois heures du matin, et on s’en souvient encore !…C’était la bonne époque, ces bons moments sont bien passés…maintenant il y a la télé, les portables et internet… »On évoque aussi les méchouis organisés sur les terres de la ferme, de l’autre côté de la route, sur un terrain assez plat, ombré, avec les habitants de Soyans, pendant au moins douze ans dans les années quatre-vingts. Tous les jeunes venaient préparer des salades de riz -il en fallait pour cent vingt qu’on était au moins!- on les laissait ensuite au frais dans la maison. Tous se souviennent de l’ambiance lors de ces méchouis, les bières gardées au frais dans un bassin et les fins de parties où il n’était pas rare qu’une fille se retrouve dans ledit bassin, poussée par les garçons !  Et puis il y a eu les camps de scouts, de presque toute la France : Paris, l’Alsace, la Bretagne, Saint Chamond (« Ils étaient vraiment gentils ceux-là », précise Raymonde) et puis plus rien parce qu’il y a eu tous les réglements modernes, ne plus faire de feu par exemple…

Le temps passe, le petit-fils vient de rentrer de l’école, on va bientôt se quitter non sans avoir trinqué à la santé de Raymonde et Maurice qui nous dit que bon, cette année avec la bronchite, il n’est pas allé à la chasse mais qu’il va reprendre au printemps la pétanque avec les copains de toujours à Soyans !

Il nous reste à prendre une photo , pour cela nous nous rendons sur la terrasse vitrée plein sud avec vue sur les Trois Becs et le Grand Delmas. Et nous sortons par la remise transformée en grande salle à manger d’été, ce qui, en plus, représente une sacrée barrière au mistral.